Quelle est l’action de l’hypnose sur les émotions ?

L’impact de l’hypnose sur les émotions est connu depuis la fin du XIXème siècle (Bernheim, 1880), et les sciences cognitives modernes éclairent les mécanismes de cette action sur nos expériences émotionnelles. Les procédés hypnotiques peuvent générer des changements émotionnels immédiats autant que des changements dans les habitudes émotionnelles.

 

Par exemple, ils permettent de réduire des appréhensions, des surcharges de stress ou des sentiments de détresse. L’hypnose agit alors comme un régulateur émotionnel immédiat, à l’image de techniques comme la cohérence cardiaque. Mais elle peut aussi être utilisée pour changer des tendances comportementales : par exemple, modifier une réaction émotionnelle apprise face à un stimulus ou face à un contexte. Par différentes méthodes et techniques, l’hypnose agit ici comme un accompagnement thérapeutique et un dispositif d’apprentissage. 

 

Pour accompagner le vécu émotionnel, l’expression d’une émotion, et la capacité à réguler une émotion, l’hypnose mobilise trois grandes techniques : la suggestion, l’imagination, et les inductions d’états modifiés de conscience. Lors de nos formations, nous abordons ces trois procédés pour soutenir plusieurs situations médicales.

 

Ils peuvent être utilisés, par exemple :

 

  • Pour réduire l’impact émotionnel d’une annonce de diagnostic,
  • Pour soutenir la gestion du stress et de l’anxiété liés aux pathologies et aux traitements,
  • Pour favoriser des relations fluides entre personnels soignants et patients,
  • Pour aider la gestion systémique des équipes médicales (Schnur et al., 2008; Chen et al., 2017).

Mieux comprendre le fonctionnement émotionnel pour cibler les outils de l’hypnose

Une compréhension du fonctionnement des émotions permet de mieux intégrer comment l’hypnose s’y adresse.

 

Les sciences cognitives modernes montrent l’expérience émotionnelle comme composée d’une interaction entre trois activités psycho-physiques :

 

  • les affects, qui relient perception externes, sensations physiques, et ressentis de celles-ci ;
  • les cognitions, qui relient pensées, représentations d’une situation, et apprentissages ;
  • les modes d’action, qui relient nos façons de réagir, nos réactions physiologiques et l’orientation de nos perceptions (Lindquist & Barrett, 2008; Quéré, 2021).

 

Par exemple, dans une situation de soin, un patient peut éprouver un affect intense et inconfortable, qui se mélange à des représentations d’intrusion ou de douleur, et qui active involontairement une réaction de tension musculaire et d’accélération cardiaque … réaction qui, en retour, génère de nouvelles sensations et idées défavorables.

 

Ensemble, affects, cognitions et actions interagissent ainsi de manière circulaire. Ils déclenchent et entretiennent nos expériences émotionnelles. Mais cette circularité explique également comment une expérience émotionnelle se modifie ou s’arrête. En effet, face à la situation décrite ci-dessus, différentes actions peuvent agir sur les maillons de l’expérience émotionnelle, et la modifier : un changement de focalisation de l’attention vers d’autres perceptions sensorielles disponibles, une évocation immersive de mémoires apaisantes, une saillance progressive d’affects positifs dans le corps, ou encore une invitation à l’action de relâchement musculaire…

 

Ensemble, ces actions vont radicalement changer l’émotion liée à la situation. Affects, cognitions et actions peuvent ainsi être utilisés pour modifier, voire pour générer une expérience émotionnelle. Or, les procédés hypnotiques peuvent cibler de façon précise ces trois composantes de l’activité humaine et dans nos formations, nous avons développé des protocoles précis pour y parvenir.

 

Par exemple, les états d’hypnose favorisent des sensations corporelles neutres et positives. L’imagination et la suggestion permettent d’activer rapidement des mémoires sécurisantes et apaisantes. Ensemble, ces affects et cognitions générés par l’hypnose favorisent alors une réponse émotionnelle mieux adaptée au contexte.

 

Ce ciblage par les procédés hypnotiques est largement soutenu par les neurosciences : elles permettent en effet de visualiser l’impact de différentes catégories de suggestions, de manière différenciée, sur différentes aires cérébrales : perceptuelles, cognitives, ou idéo-motrices (Landry & Raz, 2015).

 

De plus, le traitement de l’information émotionnelle implique des processus neurocognitifs qui sont également mobilisés par l’hypnose. Ces processus sont par exemple à l’œuvre quand nous éprouvons des émotions par simple évocation de contextes ou de stimuli, par anticipation d’une situation, ou quand nous nous remémorons des expériences passées (Niedenthal, 2007).

 

En d’autres termes, ils expliquent notre capacité à produire des émotions par simple pensée, sans support de stimuli externes. Décrits comme top-down – ou descendants- ils partent des représentations, et agissent de manière inférentielle et prospective : concrètement, ils agissent sur l’interprétation et l’évaluation de notre environnement, ainsi que sur nos anticipations quant à cet environnement et quant aux réponses de notre corps.

 

A titre d’exemple, ce mécanisme explique la phobie de l’aiguille et sa participation à un ressenti extrêmement négatif et intense face à l’idée d’une piqûre.

Les différents niveaux d’action de l’hypnose médicale sur les émotions

Depuis quelques années, les sciences cognitives décrivent que les procédés suggestifs de l’hypnose agissent par ces mêmes processus top-down (Terhune et al., 2017). La suggestion peut alors être légitimement considérée comme un véritable pilotage du traitement de l’information émotionnelle.

 

Ces observations étayent la pertinence de différents procédés hypnotiques, comme les techniques d’évocation et de remémoration, dont nous comprenons de mieux en mieux la profondeur et l’efficacité sous leur simplicité apparente. Ainsi, à plusieurs niveaux neurophysiologiques, l’hypnose agit directement sur les différents maillons d’une expérience émotionnelle.

 

Par ailleurs, les recherches récentes en psychologie émotionnelle ont recensé de nombreuses compétences émotionnelles, distinctes les unes des autres, et que chacun peut apprendre et développer (Mikolajczak et al., 2020).

 

Parmi celles-ci, par exemple : la régulation émotionnelle, qui consiste à connaître des stratégies de régulation appropriées aux différentes émotions ; ou la différenciation émotionnelle, capacité de nommer un affect donné, ce qui contribue à réduire l’activité aversive de l’amygdale (Lieberman et al., 2007).

 

Les expériences hypnotiques agissent en soi comme des moyens de régulation émotionnelle, en induisant par exemple de la relaxation profonde ou des états d’absorption de l’attention. Mais l’hypnose peut également participer à des dispositifs pédagogiques pour développer ces différentes compétences émotionnelles, et apprendre à les utiliser dans la vie quotidienne. Par exemple, en situation de rééducation longue, l’hypnose peut soutenir un apprentissage de la persévérance, de la patience, et de la valorisation du progrès, en ciblant différents états et différentes méthodes de régulation des émotions positives et négatives qui y sont liées. 

 

Notre programme de formation vise à transmettre un ensemble d’outils de gestion des émotions adaptés aux contextes professionnels médicaux. Nous y abordons notamment des techniques suggestives, narratives, imaginatives, et d’états modifiés de conscience. Elles visent principalement à réduire le stress et l’anxiété, à favoriser des climats d’apaisement, de confort et de sentiment de sécurité, à modifier des conditionnements émotionnels, et à développer des compétences émotionnelles. Nous y incluons de plus une initiation aux problématiques psycho-traumatologiques, basée sur les avancées récentes du domaine, et appuyée par un plan de traitement (Hart et al., 2017), notamment réduire les risques potentiels conséquents à des expériences traumatogènes, comme les annonces de diagnostics.

 

L’hypnose médicale invite à adapter ces différentes techniques aux spécificités du patient, à explorer avec lui ses représentations personnelles, pour l’accompagner à mieux vivre les contextes qu’il rencontre. Ces techniques sont simples, et un apprentissage progressif permet de les automatiser avec aisance pour les intégrer dans les habitudes de communication. Elles contribuent à mieux aborder les situations de pathologies, de traitement, de communication, ou même de rapport aux proches de patient.

Bibliographie

Bernheim, H. (1880). Suggestive Therapeutics : A Treatise on the Nature and Uses of Hypnotism. G.P. Putnam’s sons.

 

Chen, P.-Y., Liu, Y.-M., & Chen, M.-L. (2017). The Effect of Hypnosis on Anxiety in Patients With Cancer : A Meta-Analysis. Worldviews on Evidence-Based Nursing, 14(3), 223‑236. https://doi.org/10.1111/wvn.12215

 

Hart, O. van der, Nijenhuis, E. R. S., & Steele, K. (2017). Le soi hanté : Dissociation structurelle et traitement de la traumatisation chronique. De Boeck Superieur.

 

Landry, M., & Raz, A. (2015). Hypnosis and imaging of the living human brain. The American Journal of Clinical Hypnosis, 57(3), 285‑313. https://doi.org/10.1080/00029157.2014.978496

 

Lieberman, M. D., Eisenberger, N. I., Crockett, M. J., Tom, S. M., Pfeifer, J. H., & Way, B. M. (2007). Putting feelings into words : Affect labeling disrupts amygdala activity in response to affective stimuli. Psychological Science, 18(5), 421‑428. https://doi.org/10.1111/j.1467-9280.2007.01916.x

 

Lindquist, K. A., & Barrett, L. F. (2008). Constructing Emotion. Psychological science, 19(9), 898‑903. https://doi.org/10.1111/j.1467-9280.2008.02174.x

 

Mikolajczak, M., Quoidbach, J., Kotsou, I., & Nelis, D. (2020). Les compétences émotionnelles. Dunod.

Niedenthal, P. M. (2007). Embodying emotion. Science (New York, N.Y.), 316(5827), 1002‑1005. https://doi.org/10.1126/science.1136930

 

Quéré, L. (2021). La fabrique des émotions. Paris, PUF, Hors Collection.

 

Schnur, J. B., Kafer, I., Marcus, C., & Montgomery, G. H. (2008). Hypnosis to manage distress related to medical procedures : A meta-analysis. Contemporary Hypnosis, 25(3‑4), 114‑128. https://doi.org/10.1002/ch.364

 

Terhune, D. B., Cleeremans, A., Raz, A., & Lynn, S. J. (2017). Hypnosis and top-down regulation of consciousness. Neuroscience & Biobehavioral Reviews, 81, 59‑74. https://doi.org/10.1016/j.neubiorev.2017.02.002